samedi 27 avril 2013

Récit du samedi

Un samedi matin ordinaire à Kumasi. Un jeune expatrié français se lève tranquillement aux aurores, comme à son habitude, et sort rapidement de chez lui pour faire quelques courses.
Il est déjà plus de 10h30, notre héros s'apprête alors a rentrer chez lui, arrête un taxi et après quelques secondes de négociations, grimpe dans le véhicule.
Le chauffeur passe la première et s'incruste rapidement dans le trafic. Au premier feu rouge, il enclenche machinalement son autoradio et semble chercher la bonne station.
« Un petit reggae, ça serait cool » songe le passager.
Soudain, le chauffeur se redresse, et une voix masculine s'échappe des baffles grésillantes du taxi :
- « Do you believe in Jesus ? (x4)
- YES !!! (x4)
- Do you believe in God ?
- YES !!
- Do you believe what they tell you ? Do you think we were monkeys?
- NO !!
- Do you think god created us ?
- YES !!!"
-…
Notre héros, ou étant donné sa situation, notre super-héros, effectue alors une petite moue qui en dit long. Il faut dire que, malgré tout le respect qu'il puisse porter aux différentes croyances, la laïcité véhiculée par la société française est bien ancrée au fond de lui. Selon lui, on peut croire, mais dans son coin, Malheureusement, au Ghana, cette notion de laïcité, même si elle est inscrite dans la constitution est bien loin d'être respectée.

Ca a commencé quelques semaines après son arrivée à Kumasi, lorsqu'un des profs du département de français lui avait lancé un jour : « Tu sais, y a quelques année, le Ghana a été désigné pays le plus religieux du monde. Tu vas voir. »
Ah ça, pour voir il avait vu !!! Depuis 1 an et demi, il avait compris un certain nombre de choses, et il avait vécu déjà vécu un bon nombre de situations rocambolesques.
Il avait surtout compris qu'ici, il n'y avait pas vraiment de religion majoritaire et que tout semble partagé entre protestants, catholiques, musulmans et animistes. Par contre, il y avait un truc qu'il n'avait jamais réellement capté, c'était l'organisation des religions protestantes.
Il avait en effet découvert que l'église protestante semblait se diviser en de multiples mini églises représentant différentes visions de la bible appelées pentecotistes, baptistes ou encore charismatiques... D'ailleurs, en France, on les appellerait probablement des sectes...
C'était ces espèces de mouvements religieux qui lui cassaient la tête. Les cathos, les musulmans, les animistes, ils sont présents par les prénoms, majoritairement bibliques/musulmans/traditionnels et leurs croyances sont bien entendues très respectées (Il s'étonnait d'ailleurs que les cathos et les musulmans puissent être si tolérants les uns envers les autres). Mais ces églises bizarres avec un pasteur en transe devant un public surexcité... Il ne comprenait décidément pas
Lors d'une conversation entre notre héros et un collègue, on lui avait expliqué que ces mouvements viennent des Etats-Unis, ils se sont implantés au Nigéria avant d'arriver doucement au Ghana. On dit que ça plaît aux gens, c'est vachement plus bling-bling, beaucoup plus fun. Musique à fond, on peut crier, sauter, danser... bref, se lâcher. Et les gens tombent dans le panneau. On lui a appris également que ces églises luttaient plus ou moins les unes contre les autres pour obtenir le plus d'adeptes, et que c'était donc à « celui qui fait le plus de bruit ».
En fait, en réfléchissant bien, Kumasi était un champ de bataille d'églises qui s'affrontent sans merci.
- « Elles sont vraiment riches ces églises non ? Avait-il demandé
- Oui, oui, ben elles demandent souvent pas mal d'argent à leurs adeptes. Les pasteurs sont riches ici, ils se déplacent en voiture privée avec chauffeur. Et les églises sont parmi les bâtiments les plus grands et les mieux entretenus de Kumasi. »


- Et les gens donnent de l'argent ?
- Ben oui, parfois ils sont obligés, il y a des mouvements qui demandent des intérêts si leurs adeptes ne donnent pas d'argent. D'autres bannissent certains membres qui ne sont pas très généreux. » Il y a une sorte d'adhésion à payer... Les églises organisent souvent des activités avec pique nique et prière. »

Il pensa alors à une ballade qu'il avait faite il y a quelques mois au sanctuaire des papillons, Ils étaient effectivement tombés sur ce genre de chose...

Mais en pleine guerre d'influence comment était-il possible de se limiter à un grand bâtiment ?! Il faut rameuter tout le temps, constamment !
Et les affiches fleurissent dans les rues de Kumasi. Des panneaux 4 par 3 ventant la venue de tel super-pasteur.




« - Ces événements durent longtemps ? 
- Oh, ça dépend, mais souvent, lors d'occasions spéciales, ça peut durér la journée entière. Certaines églises proposent des événements qui s'étendent sur 1 semaine. Les adeptes peuvent choisir entre 2 services. Celui du matin, généralement entre 7h et midi et celui du soir, entre 18h et 23h. Ca varie aussi selon l'événement, la taille de l'église...
- OK! Donc la prière peut durer 4h?
- Oui oui."

Au cours de son séjour, le jeune homme avait appris à vivre avec la religion. Il savait très bien que chaque samedi, au marché, des hommes tout à fait commun en semaine prendraient des enceintes, un micro, et iraient prêcher sur le bord de la route. D'ailleurs, en sortant de ce taxi, il en croiserait un. Il savait qu'il pouvait s'attendre, à n'importe quel moment, à se trouver nez à nez avec quelqu'un qui lui demande quelle est sa religion, ou qui lui propose d'intégrer son église. Il ne savait d'ailleurs pas réellement quoi répondre à cette question. Soit il avouait son athéisme, mais ses interlocuteurs se trouvaient tellement éberlués qu'il se lançaient mécaniquement dans une dissertation sur « pourquoi faut-il croire en dieu », ce qui le gonflait souvent. L'autre solution était de mentir, mais il n'aimait pas trop ça, peut-être parce que mentir est un pêché... En tout cas, s'il mentait, il mentait pour de vrai et annonçait alors qu'il était bouddhiste ou même hindou. Les gens le laissaient alors tranquille en hochant les épaules. Ces noms ne leur disaient pas grand chose...

Le chauffeur enclencha son clignotant et se gara sur le bas côté. Après quelques secondes de transaction, la porte arrière droite s'ouvrit et notre héros en sorti. Toujours plongé dans ses pensées, il regarda le taxi s'éloigner et les écritures believe in god sur son pare-brise arrière disparurent rapidement dans la circulation. Il y a beaucoup d'allusions religieuses sur les autocollants sur les taxis.



Dure matinée pour un expatrié français à Kumasi. Le soleil lui faisait comprendre qu'il fallait qu'il rentre. Il tourna les talons, et s'engouffra dans l'université. Celle-là était peut-être laïque... Qui sait ?




2 commentaires:

  1. Je me rappellerai pendant très longtemps le trajet vers le lac Bosumtwe, au son d'un concert religieux "pop-rock"...

    RépondreSupprimer
  2. Ah ouais! Ca bougeait bougeait!

    RépondreSupprimer